Tour de France 2025 : la légende des maillots distinctifs

Le Tour de France n’est pas qu’une course cycliste : c’est un récit épique jalonné de couleurs emblématiques. Depuis plus d’un siècle, des maillots distinctifs viennent récompenser les exploits des coureurs et nourrir les histoires les plus vives de la Grande Boucle. En 2025 encore, quatre maillots mythiques – le jaune, le vert, le blanc à pois rouges et le blanc – rythment chaque étape, tandis que d’autres distinctions (dossards de combatifs, classement par équipes, souvenirs spéciaux) entretiennent la légende. Comment fonctionnent ces classements en 2025 ? D’où viennent ces tuniques colorées et quelles anecdotes incroyables racontent-elles ? Plongeons dans la saga haute en couleurs des maillots du Tour de France.

Le Maillot Jaune : le rêve absolu du leader

C’est la tunique la plus convoitée du cyclisme, symbole de la suprématie sur le Tour de France. Le maillot jaune distingue le leader du classement général au temps, c’est-à-dire le coureur ayant accumulé le moins de temps de course depuis le départ. Chaque jour, à l’arrivée d’une étape, le classement général est mis à jour : le coureur en tête enfile le maillot jaune le lendemain, concrétisant le rêve de porter la couleur des champions. En 2025, les règles n’ont plus de secret pour les prétendants : le classement général s’établit par addition des temps de chaque étape, en tenant compte des éventuelles bonifications (10, 6 et 4 secondes offertes aux trois premiers de chaque étape en ligne) et pénalités. En cas d’égalité de temps, les commissaires départagent d’abord aux centièmes de seconde enregistrés lors des contre-la-montre, puis aux places d’honneur sur les étapes, et enfin à la place obtenue sur la dernière étape disputée. Autant dire qu’il est rarissime d’avoir deux coureurs ex æquo. L’histoire a toutefois connu un cas célèbre : en 1989, le Français Laurent Fignon aborda la dernière étape en jaune avec 50 secondes d’avance, avant de perdre le Tour pour 8 secondes face à Greg LeMond lors du contre-la-montre final – la plus petite marge de victoire de l’histoire du Tour.

Pourquoi le maillot est-il jaune ? L’idée d’une tunique spéciale est née en 1919. Cette année-là, Henri Desgrange – directeur du Tour – décide d’offrir plus de visibilité au leader, alors qu’il est difficile de le repérer parmi les 67 coureurs rescapés d’une épreuve rendue chaotique par la Grande Guerre. Le choix de la couleur se porte sur le jaune, en hommage au papier jaune du journal L’Auto, organisateur du Tour. Le 19 juillet 1919, lors de la 11ᵉ étape Grenoble-Genève, Eugène Christophe endosse le tout premier maillot jaune de l’histoire du Tour. La réaction de ses camarades est moqueuse : « Avec ce maillot jaune, on m’a appelé le p’tit canari, on m’appelait même le cocu », racontera Christophe en souriant. Peu lui importait : malgré les quolibets, il était fier d’être le premier. Malchanceux, Christophe ne gardera pas sa tunique jusqu’à Paris : le 25 juillet 1919, à deux jours de l’arrivée, sa fourche casse dans une étape du Nord (une mésaventure qui l’avait déjà frappé en 1913). Il perd des heures à réparer lui-même son vélo et doit céder son maillot jaune au Belge Firmin Lambot, qui devient ainsi le premier vainqueur du Tour en jaune. Ce coup du sort n’empêche pas la légende de s’installer : dès les années suivantes, le maillot jaune devient l’objet de toutes les convoitises.

Des héros en jaune ont marqué l’histoire. Le Français Jacques Anquetil fut le premier à gagner cinq Tours (1957, 1961–64), imité ensuite par les légendaires Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain, tous quintuples vainqueurs. Merckx détient également le record de jours en jaune, avec 96 journées passées en tête au cours de ses participations – une performance inégalée qui lui valut le surnom de Cannibale. Derrière lui, Hinault a porté 79 jours le maillot doré, Chris Froome 59 jours, et le jeune phénomène slovène Tadej Pogačar déjà 40 jours. Le maillot jaune a sacré des champions d’exception, mais aussi quelques surprises : en 1956, le modeste grimpeur Roger Walkowiak triompha sans avoir gagné d’étape, entrant dans le langage courant avec l’expression “à la Walkowiak” pour un succès inattendu. Porter le jaune peut transcender un coureur : le Français Thomas Voeckler, maillot jaune pendant 10 jours en 2011, résista héroïquement aux favoris en montagne, porté par l’enthousiasme du public. À l’inverse, la tunique peut aussi peser lourd sur les épaules : nombreux sont les coureurs qui l’ont portée quelques jours puis craqué sous la pression. C’est dire si conserver le maillot jaune jusqu’aux Champs-Élysées est un exploit absolu. Lorsque le vainqueur final parade en jaune à Paris, c’est l’aboutissement d’une lutte acharnée de trois semaines – un moment de triomphe entré dans la mythologie du sport.

Le Maillot Vert : la chasse aux points des sprinteurs

Si le maillot jaune récompense la régularité au temps, le maillot vert valorise la vitesse et la régularité sur les sprints. Créé en 1953 pour le 50ᵉ anniversaire du Tour, il distingue le leader du classement par points. Comment gagne-t-on ces points ? En terminant bien placé sur chaque étape et lors des sprints intermédiaires quotidiens. Concrètement, en 2025, chaque étape attribue un barème de points aux premiers coureurs à l’arrivée, variable selon le profil de l’étape. Par exemple, les étapes dites « plates » (favorable aux sprinteurs) offrent 50 points au vainqueur et récompensent les 15 premiers, tandis qu’une étape de haute montagne n’en donnera que 20 au premier. Ainsi, un sprinteur consistent peut accumuler de gros points sur les arrivées massives. En outre, un sprint intermédiaire unique par étape rapporte aussi quelques points aux plus rapides du peloton. Le porteur du maillot vert est celui qui totalise le plus de points au fil des étapes. En cas d’égalité au classement, le nombre de victoires d’étapes sert de premier départage, puis le nombre de victoires sur sprints massifs, et enfin le classement général au temps. Cette règle favorise les sprinteurs les plus victorieux, incarnant bien l’esprit du maillot vert : il couronne généralement un coureur rapide ayant brillé tout au long du Tour par ses classements dans le peloton.

Pourquoi la couleur verte ? Ici encore, c’est un clin d’œil au sponsor originel. En 1953, la direction du Tour introduit le classement par points pour donner leur chance aux routiers-sprinteurs, souvent éclipsés au général. Le premier sponsor de ce nouveau maillot étant un fabricant de tondeuses à gazon (La Belle Jardinière), le vert s’impose tout naturellement ! Une seule exception à ce code couleur : en 1968, le maillot des points fut… rouge, en raison d’un changement ponctuel de sponsor cette année-là. Mais dès 1969, on revint au vert, et cette couleur est depuis lors indissociable des sprints du Tour.

Sprinteurs de légende en vert. Le palmarès du maillot vert est dominé par de grands noms du sprint. Le Slovaque Peter Sagan en est le roi incontesté avec 7 victoires au classement par points (record absolu), conquis entre 2012 et 2019 par sa régularité hors normes. Avant lui, l’Allemand Erik Zabel avait marqué les années 1990–2000 avec 6 maillots verts. On se souvient aussi du robuste Irlandais Sean Kelly, quadruple lauréat dans les années 80, ou du « Tashkent Terror » Djamolidine Abdoujaparov, sprinteur ouzbek aux rushs redoutables, vainqueur en 1991, 1993 et 1994. Le Britannique Mark Cavendish, lui, n’a remporté qu’une seule fois le classement par points (2011), mais il a laissé une empreinte durable sur les sprints du Tour avec ses 34 victoires d’étape (record co-détenu avec Eddy Merckx). La lutte pour le maillot vert a parfois été serrée : en 1987, l’Irlandais Stephen Roche coiffe le Suisse Sean Kelly pour un point seulement, tandis qu’en 1979, Bernard Hinault empoche le maillot vert malgré lui – il ne visait que le général, mais sa régularité le fait finir avec une petite avance sur Joop Zoetemelk. À l’inverse, quelques sprinteurs prestigieux n’ont jamais ramené la tunique verte : l’Italien Mario Cipollini, roi des étapes plates dans les années 90, abandonnait souvent avant la montagne et n’a donc jamais pu accumuler assez de points sur tout un Tour. Le maillot vert demande en effet une endurance au long cours : sprinter oui, mais encore faut-il rallier Paris ! Les candidats doivent passer les Pyrénées et les Alpes sans arriver hors délais, sous peine de voir s’envoler leurs efforts. Cette polyvalence rend le palmarès du maillot vert passionnant à suivre. En 2025, les sprinteurs modernes – tels que Jasper Philipsen, Wout van Aert ou Arnaud Démare – savent qu’ils devront sprinter chaque fois que possible tout en survivant aux cols pour espérer brandir le vert sur le podium final.

Le Maillot à pois : le prestige du meilleur grimpeur

À chaque ascension sur le Tour, une autre bataille se joue : celle du Grand Prix de la Montagne, symbolisé depuis 1975 par le célèbre maillot blanc à pois rouges. Ce maillot à pois récompense le leader du classement des grimpeurs, c’est-à-dire le coureur qui a accumulé le plus de points au sommet des cols et côtes. Le système est simple : toutes les montées significatives du parcours sont classées par difficulté croissante en catégories (4, 3, 2, 1, et la prestigieuse catégorie Hors Catégorie pour les cols les plus rudes). À chaque passage au sommet, les premiers coureurs engrangent des points : par exemple, le premier au sommet d’un col Hors Catégorie marque 20 points, contre 10 points sur un col de 1ʳᵉ catégorie, et ainsi de suite jusqu’à 1 point sur une petite côte de 4ᵉ catégorie. Ces points de la montagne sont additionnés tout au long du Tour ; le meilleur grimpeur du classement porte le maillot à pois le lendemain et, bien sûr, le gagnant final endosse ce maillot sur le podium des Champs-Élysées. En 2025, une règle pimentée s’applique : le point culminant du Tour (cette année, le redoutable Col de la Loze à 2 304 m d’altitude) offre un bonus avec un doublement des points pour les premiers arrivés. Le premier au sommet du Col de la Loze empoche ainsi 40 points et un beau chèque, puisqu’il reçoit aussi le Souvenir Henri-Desgrange, une prime de 5 000 € en hommage au fondateur du Tour accordée chaque année sur la plus haute montagne du parcours. Autant dire que les grimpeurs ont ciblé cette 18ᵉ étape alpestre de 2025 !

Curieusement, si le classement de la montagne existe depuis 1933, il a fallu plus de 40 ans pour voir un maillot distinctif l’accompagner. Avant 1975, le meilleur grimpeur était honoré en fin de Tour, mais roulait dans le peloton sans signe particulier (hormis parfois un dossard spécifique certaines années). L’introduction du maillot à pois en 1975 est l’aboutissement d’une réflexion des organisateurs pour donner plus de visibilité aux rois de la montagne. Pourquoi des pois rouges sur fond blanc ? La légende veut que ce design original soit un clin d’œil à un coureur des années 30, Henri Lemoine, surnommé P’tit Pois pour son maillot de piste à pois rouges, que le co-directeur du Tour Félix Lévitan appréciait particulièrement. Il se murmure aussi que le sponsor initial du maillot était une marque de chocolat (Chocolat Poulain) dont un produit était emballé de pois – la coïncidence est savoureuse. Quoi qu’il en soit, dès sa première apparition, le maillot à pois est adopté par les fans et les médias : ces pois rouges deviennent instantanément le symbole des assauts en montagne.

Le premier coureur à enfiler le maillot à pois fut un Belge, le grand grimpeur Lucien Van Impe, lors du Tour 1975 (qu’il termina lui-même en vainqueur du classement de la montagne). Van Impe allait remporter 6 fois le Grand Prix de la Montagne, égalant ainsi l’Espagnol Federico Bahamontes, surnommé l’Aigle de Tolède, autre grimpeur de légende des années 50–60. Mais le record absolu appartient à un Français : Richard Virenque, idole des années 1990, s’est adjugé 7 maillots à pois au long de sa carrière – un exploit inégalé, obtenu notamment grâce à ses longues échappées en haute montagne. D’autres noms ont marqué l’histoire des grimpeurs du Tour : le Luxembourgeois Charly Gaul, vainqueur du classement en 1955, était capable de grimpées surhumaines dans le froid et la pluie ; l’Italien Fausto Coppi excella également sur les pentes (meilleur grimpeur 1949 et 1952) tout en gagnant le Tour. Plus proche de nous, les Français Thomas Voeckler (maillot à pois 2012) et Warren Barguil (maillot à pois 2017) ont ravivé la flamme des supporters tricolores en animant les ascensions du Tour. On note aussi que certains vainqueurs du Tour cumulent les honneurs de la montagne : Eddy Merckx en 1969 réalisa un triplé historique (jaune, vert et montagne la même année !), tandis que plus récemment Chris Froome (2015) ou Tadej Pogačar (2020) ont terminé le Tour avec le maillot jaune et le maillot à pois sur les épaules. La bataille pour les pois rouges est souvent âpre, opposant à la fois des cadors du général (qui engrangent les points en passant en tête aux sommets) et des baroudeurs spécialistes des échappées en montagne. En 2025, le public aura l’œil sur chaque col, car le maillot à pois est l’un des plus populaires – il incarne l’esprit offensif et le panache des grimpeurs.

Le “maillot du meilleur grimpeur du jour” existe-t-il ? Contrairement à certaines légendes, il n’y a pas de maillot distinctif attribué uniquement pour le meilleur grimpeur de l’étape. Chaque jour, le titre officieux de meilleur grimpeur du jour revient simplement au coureur qui a marqué le plus de points GPM dans l’étape, et cela se traduit au classement général de la montagne. S’il prend la tête de ce classement, il endosse le maillot à pois le lendemain. Sinon, c’est le leader actuel qui conserve sa tunique. Il n’y a donc pas de “maillot” supplémentaire au soir de chaque étape pour le meilleur escaladeur du jour : le maillot à pois remplit déjà ce rôle en se transmettant éventuellement d’un coureur à l’autre tout au long de la course. En revanche, des récompenses ponctuelles honorent les exploits en montagne : on a évoqué le Souvenir Henri-Desgrange pour le plus haut col, et depuis 2001 un Souvenir Jacques-Goddet rend hommage à l’ancien directeur du Tour au sommet du col du Tourmalet (dans les Pyrénées) lorsque ce géant est au programme. Remporter ces primes en franchissant en tête un col mythique est un accomplissement recherché par les grimpeurs : en 2025, c’est le Polonais Rafał Majka qui a inscrit son nom au Souvenir Goddet en arrivant en tête au Tourmalet, ajoutant son chapitre à la riche histoire des sommets du Tour.

Le Maillot Blanc : les jeunes à l’assaut du Tour

Au milieu des géants d’expérience, le Tour de France a toujours voulu mettre en lumière les jeunes talents. C’est la mission du maillot blanc, attribué au meilleur jeune du Tour, c’est-à-dire le coureur de 25 ans ou moins le mieux classé au général. En 2025, sont éligibles les coureurs nés à partir du 1ᵉʳ janvier 2000. Ce classement des jeunes a été créé en 1975, en même temps que le maillot à pois et que l’arrivée du Tour sur les Champs-Élysées. Durant les années 1980-90, il fut brièvement abandonné (pas de maillot blanc de 1989 à 1999), avant de revenir en grâce à partir de 2000. Le maillot blanc fonctionne exactement comme le maillot jaune, mais limité à la nouvelle génération : on y retrouve souvent de futurs grands champions en devenir. D’ailleurs, plusieurs vainqueurs du maillot blanc ont par la suite remporté le Tour lui-même, preuve de son rôle de tremplin vers la gloire.

Le premier lauréat du maillot blanc fut l’Italien Francesco Moser en 1975, qui finit cette année-là 7ᵉ du Tour à 24 ans et gagna le prologue. Depuis, la liste des meilleurs jeunes du Tour ressemble à un palmarès anticipé des stars de demain. Dans les années 1980, Laurent Fignon triompha du Tour 1983 en remportant du même coup le maillot blanc à 22 ans – un doublé jeune + jaune retentissant pour celui qui n’était encore professionnel que depuis un an. L’Allemand de l’Ouest Jan Ullrich impressionna en 1996 en terminant 2ᵉ du Tour et meilleur jeune, puis il confirma l’année suivante en gagnant le Tour 1997 (maillot blanc et maillot jaune à la fois). L’Espagnol Alberto Contador réalisa le même exploit en 2007. Le Luxembourgeois Andy Schleck, rival malheureux de Contador, a raflé le maillot blanc trois fois de suite (2008, 2009, 2010). Cependant, le record est désormais détenu par Tadej Pogačar : le prodige slovène a remporté quatre maillots blancs consécutifs de 2020 à 2023, dont deux assortis à la victoire finale (en 2020 et 2021). Jamais un coureur n’avait dominé à ce point la compétition des jeunes. Pogačar, vainqueur du Tour à 21 ans, est aussi devenu le plus jeune double vainqueur de l’épreuve depuis les débuts du XXᵉ siècle. Ces statistiques illustrent la montée en puissance des jeunes dans le cyclisme moderne : le maillot blanc est devenu un enjeu passionnant, où s’affrontent souvent de très grands espoirs. En 2022, le Danois Jonas Vingegaard a ainsi soufflé le maillot blanc à Pogačar… tout en lui ravissant le maillot jaune, signe d’un passage de témoin entre deux générations talentueuses.

Techniquement, porter le maillot blanc signifie souvent briller au général, car un jeune n’a pas forcément besoin d’être très loin au classement pour devancer ses rivaux d’âge. Il arrive même qu’un coureur en blanc soit si bien classé qu’il occupe aussi la tête du Tour : dans ce cas, bien sûr, il porte le jaune et laisse le maillot blanc au deuxième meilleur jeune provisoirement. C’est arrivé en 2019 avec Egan Bernal, vainqueur du Tour à 22 ans, ou avec Pogačar en 2020 et 2021 : ces années-là, le maillot blanc n’est apparu sur les épaules d’aucun autre coureur, tant le phénomène slovène dominait à la fois les jeunes et les anciens. Pour le public, suivre le classement du meilleur jeune, c’est assister en direct à l’éclosion des champions de demain. Chaque édition révèle de nouveaux talents prometteurs – et certains ne tarderont pas à viser le maillot jaune lui-même. Nul doute qu’en 2025, la lutte pour le maillot blanc est tout aussi acharnée que les autres : la relève du cyclisme mondial veut saisir sa chance sur la plus grande scène qui soit.

Le Prix de la Combativité : l’esprit d’attaque récompensé

Au-delà des classements officiels par temps ou par points, le Tour de France célèbre aussi une qualité plus intangible : le panache. Chaque jour, un coureur se voit attribuer le Prix de la Combativité pour avoir fait preuve d’audace, d’agressivité en course et d’esprit sportif. Ce prix, décerné par un jury de spécialistes (anciens coureurs, journalistes…) présidé par le directeur de course, met à l’honneur le « baroudeur » du jour – souvent celui qui s’est échappé seul en tête pendant de longs kilomètres, ou qui n’a cessé d’attaquer malgré les difficultés. Le lauréat du prix de la combativité ne porte pas de maillot distinctif, mais il est identifiable le lendemain grâce à un dossard de couleur spéciale sur le dos de son maillot. Pendant des décennies, ce dossard a été rouge avec un numéro blanc, au point qu’on parlait familièrement de dossard rouge pour désigner le plus combatif. En 2023, un nouveau sponsor a changé le rouge en or (sur fond “doré” un peu beige), surprenant un peu les habitués, mais l’idée reste la même : le porteur du dossard distinctif est celui qui a enflammé la course la veille. Ce “prix du courage” est attribué sur toutes les étapes en ligne (pas de combativité sur les contre-la-montre individuels) et pas lors de la dernière étape sur les Champs-Élysées, car traditionnellement on ne veut pas troubler la parade finale. Enfin, à l’issue du Tour, le jury désigne parmi tous les héros du jour un Super Combatif, le coureur jugé le plus méritant de tout le Tour, qui reçoit un trophée sur le podium final.

Le Prix de la combativité a été instauré au Tour en 1952 pour un classement annexe des “meilleurs attaquants ». Jusqu’au milieu des années 1970, il fonctionnait par un système de points cumulés à chaque étape, mais désormais il s’agit simplement d’une décision du jury étape par étape. Parmi les coureurs les plus combatifs de l’histoire, on retrouve sans surprise Eddy Merckx – récompensé Super Combatif à quatre reprises (record) pour son insatiable appétit d’attaques. Aucun vainqueur du Tour n’a d’ailleurs été désigné super-combatif depuis 1981, signe qu’en général le jury préfère distinguer un coureur n’ayant pas eu les honneurs d’un maillot distinctif mais ayant marqué les esprits par sa ténacité. On se souvient du Français Thierry Marie, échappé solitaire pendant plus de 200 km en 1991, du grimpeur français Thomas De Gendt multipliant les raids en montagne, ou de l’attaque folle de Jacky Durand en 1994 dès le kilomètre 0… Ces combattifs d’exception n’ont pas gagné le Tour, mais leur panache est entré dans la légende. En 2019, le public français s’est enthousiasmé pour Julian Alaphilippe, offensif tous azimuts en jaune, sacré Super Combatif du Tour pour son show permanent. Et comment oublier Sylvain Chavanel, élu Super Combatif en 2010 après s’être échappé quasiment chaque jour ! Le Prix de la combativité rappelle que le Tour n’est pas qu’une affaire de calcul : l’âme de la course réside aussi dans ces attaquants qui osent tout pour le spectacle. En 2025, chaque matin, un coureur arbore fièrement son dossard distinctif acquis la veille : preuve que, même s’il n’a pas de maillot, l’esprit du combatif est bien l’un des moteurs du Tour de France.

Le Classement par équipes : le triomphe collectif

Le Tour de France se dispute individuellement, mais c’est aussi une aventure d’équipe. Depuis 1930, un classement par équipes vient récompenser la meilleure formation du peloton. À l’époque des équipes nationales (1930–1961 puis 1967–1968), ce classement honorait la nation la plus performante. De nos jours, avec les équipes de marque, il met en valeur l’esprit d’équipe au sein des structures professionnelles. Comment est-il calculé ? En 2025, chaque jour on additionne les trois meilleurs temps de chaque équipe sur l’étape, et on cumule ces temps au fil des étapes. L’équipe en tête au classement général (au temps) est celle dont les trois meilleurs coureurs ont le total de temps le plus bas. En cas d’égalité, on regarde d’abord la somme des places de ces trois coureurs sur l’étape du jour, puis la place de leur meilleur coureur à l’arrivée, etc. Sur le classement final, différents critères de départage existent également en cas d’ex æquo, jusqu’à la place du meilleur coureur de l’équipe au général. Mais les écarts de temps entre équipes sont souvent assez nets après trois semaines. Le résultat, c’est qu’à Paris, toute l’équipe victorieuse monte ensemble sur le podium pour brandir un trophée collectif – belle image de cohésion après les efforts partagés.

Il n’y a pas de maillot spécial pour le classement par équipes, mais les coureurs de l’équipe leader se distinguent d’une autre façon. Depuis quelques années, ils arborent un dossard jaune (numéros noirs sur fond jaune) et surtout un casque jaune pendant la course. Cette tradition du casque jaune, introduite dans les années 2010 (après le dossard jaune instauré dès 2006), permet de repérer le “train” de l’équipe dominante dans le peloton. Qui n’a pas remarqué en montagne ce groupe de coureurs tous casqués de jaune menant le tempo pour défendre leur classement ? C’est un spectacle en soi. Dans les années 1970, on parlait à l’inverse de “casquettes jaunes” : jusqu’en 1990, les membres de l’équipe en tête portaient en effet une casquette cycliste jaune comme signe distinctif – une touche vintage que certains nostalgiques aimeraient revoir.

Le palmarès par équipes reflète souvent la domination d’une nation ou d’une formation sur une époque. Dans l’ère des équipes nationales, la France et la Belgique se partageaient souvent la victoire. Plus tard, les grandes équipes de légende comme Molteni (Italie, époque Merckx) ou Renault-Elf (France, époque Hinault) ont inscrit leur nom. Ces dernières décennies, c’est l’équipe espagnole de Movistar (ex-Banesto, Caisse d’Épargne) qui a brillé, remportant le classement par équipes à de multiples reprises grâce à la densité de ses grimpeurs. L’équipe Ineos (ex-Sky) l’a emporté également, notamment quand elle plaçait plusieurs hommes en haut du général. Le classement par équipes ne fait pas toujours les gros titres, mais il révèle les formations les plus soudées et complètes. Certaines jouent stratégiquement pour le gagner, envoyant des coureurs dans les échappées pour “créditer” du temps. D’autres se retrouvent en tête un peu par hasard en plaçant trois coureurs bien classés au général (ce fut le cas de l’équipe Jumbo-Visma en 2022, qui rafla quasiment tout !). Quoi qu’il en soit, terminer meilleur équipe du Tour est un immense prestige pour les managers et sponsors. Sur le podium final, voir huit coureurs d’une même équipe (ils étaient huit au départ, ou parfois moins s’il y a eu des abandons) lever les bras ensemble est un moment à part, célébrant l’union et l’abnégation de ces équipiers souvent restés dans l’ombre pour aider leur leader. Ce classement rappelle que derrière chaque maillot jaune, vert ou à pois, il y a une équipe qui travaille dans l’ombre – et qu’elle aussi mérite d’être applaudie.

Autres traditions et anecdotes du Tour

Enfin, le Tour de France a toute une galerie de distinctions moins officielles ou d’anecdotes savoureuses qui alimentent sa légende. Parmi elles, la fameuse Lanterne Rouge désigne le dernier coureur du classement général, celui qui ferme la marche à Paris. Bien qu’il n’y ait ni maillot ni prix en argent pour le dernier, finir “lanterne rouge” est paradoxalement un titre honorifique qui peut valoir au coureur une certaine popularité. Certains, comme le Français Jacky Durand en 1999, ont même joué stratégiquement pour terminer derniers et entrer dans l’histoire de cette façon ! La lanterne rouge symbolise la persévérance : il faut du courage pour achever le Tour bon dernier, souvent en ayant lutté chaque jour pour finir dans les délais.

Évoquons aussi d’autres maillots oubliés. Dans les années 1960-70 exista un maillot combiné, qui récompensait le coureur performant sur l’ensemble des classements (général, points et montagne). Ce maillot, blanc à bandes multicolores ou entièrement rayé (selon les époques), fit quelques apparitions sporadiques ; il a notamment été porté par Eddy Merckx ou Bernard Hinault. Mais il a disparu après 1989, faute de lisibilité et d’intérêt du public. Aujourd’hui, les classements traditionnels suffisent à la compréhension de tous.

Chaque maillot distinctif a aussi ses anecdotes. Savez-vous que pendant près de 30 ans, le maillot jaune est resté vierge de tout sponsor ? Jusqu’en 1953, il n’affichait aucun logo publicitaire, contrairement aux maillots actuels floqués des marques des partenaires (LCL pour le jaune, Skoda pour le vert, E. Leclerc pour le pois, Krys pour le blanc en 2025). Autre fait marquant : personne n’enfile le maillot jaune le premier jour du Tour. En effet, on ne le porte qu’à partir du moment où un classement existe. Au Grand Départ, tous les coureurs commencent donc en tenue d’équipe, et c’est seulement le soir du premier secteur chronométré qu’on désigne le premier leader. Il est arrivé aussi que le maillot jaune change d’épaules sans changer de temps : en 1988, après 15 étapes, Pedro Delgado et Steven Rooks étaient à égalité parfaite au dixième de seconde. Delgado, meilleur sur les critères de départage, porta le jaune, mais Rooks avait exactement le même temps ! Situation impensable aujourd’hui avec les moyens de chronométrage précis.

Au fil des éditions, le Tour a ainsi construit tout un patrimoine de symboles : un langage des couleurs compris de tous, du spectateur au bord de la route au téléspectateur du monde entier. En 2025, ces maillots distinctifs continuent d’écrire l’histoire. Le jaune raconte la quête de gloire éternelle, le vert la fougue des sprinteurs, le pois la bravoure en montagne, le blanc l’essor de la jeunesse. À côté, les dossards rouges (ou dorés) honorent les guerriers du bitume, les casques jaunes saluent une famille de champions, et même la modeste lanterne rouge a sa part de lumière. Chaque jour, le Tour de France tisse sa narration sportive autour de ces totems colorés. Ils sont le fil rouge (et jaune, et vert, et à pois !) d’une compétition pas comme les autres, où la géographie de la France rencontre l’épopée humaine. Et lorsque le crépuscule du Tour 2025 tombera sur les Champs-Élysées, on se souviendra autant des vainqueurs en maillots distinctifs que des histoires héroïques qui leur sont associées – ces petites et grandes légendes qui font du Tour de France un monument du sport mondial.

Sources : Règlement du Tour 2025 (classements et barèmes)cyclingpro.netcyclingpro.net; Histoire des maillots distinctifs : Tour de France (site officiel)letour.frletour.fr; Témoignage d’E. Christophe, 1er maillot jaune (1919)rtbf.bertbf.be; Palmarès et records des maillots : Ledicodutour, Wikipédialedicodutour.comen.wikipedia.orgfr.wikipedia.org; Récits d’étapes et anecdotes : presse (RTBF, L’Équipe), ouvrages historiques du Tour.


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